L’annonce, puis la forte médiatisation au début juin de la destruction de 39 "petits" menhirs sur la commune de Carnac pour réaliser une enseigne de bricolage a profondément ému et indigné tous les amoureux de la Bretagne mais également le grand public, qui estiment, parfois inconsciemment, qu’il y avait quelque chose de sacré dans ces modestes pierres..
La parcelle de terrain dénaturée se situe chemin de Montauban à environ 500 mètres au sud de l’alignement de Kermario à l’intérieur d’une zone "sacrée" des Anciens. La Direction Générale des Affaires Culturelles avait bien répertorié en 2 015 ce lieu comme hébergeant des menhirs, cependant suite à des confusions administratives un permis de construire fut délivré par la mairie. Mais le plus grave à notre sens n’est pas cette dégradation ponctuelle, mais la multiplication ces dernières années de ce genre de destructions. Sur la seule commune de Carnac le maire n’hésitait pas lors un interview, suite aux évènements, d’affirmer qu’il avait en moyenne chaque année à établir l’arbitrage d’une dizaine de délivrances de permis de construire sur des parcelles abritant des vestiges lithiques.
Fin octobre, Bernard Poignant et Yvon Ollivier opposent deux points de vue au sujet de l’exposition rennaise (4). Pour le premier, il s’agit d’une exposition ratée, le message délivré par le musée de Bretagne résume la pensée de l’Etat qui postule l’inexistence de notre altérité bretonne. Cela l’amène à réfléchir au jacobinisme visant à l’homogénéisation totale de la société, ici du fait de l’affaiblissement du nombre de locuteurs bretons. Yvon Ollivier, au contraire, considère que la part de celte en chacun de nous relève le plus souvent de l’imaginaire. Il se pose la question de savoir si les 5 millions d’habitants de Bretagne se sentent vraiment celtes, constatant qu’il y a eu beaucoup de mélanges interrégionaux ou raciaux depuis les temps anciens ?
Il paraît choquant au druidisant que la législation donne tout pouvoir à des organismes profanes (préfecture, mairie, associations, services archéologiques, etc…) pour gérer le devenir de lieux considérés depuis des milliers d’années comme des territoires sacrés. La profanation et la perte du sens du sacré sont particulièrement significatives de l’actuel déclin des sociétés occidentales. Certains citoyens de Carnac et militants se sont à maintes reprises, depuis quarante ans, opposé à divers projets d’aménagement de ce lieu mégalithique d’exception. Et ce n’est pas le projet d’inscription du site en 2 025 au Patrimoine mondial de l’UNESCO qui le sauvera, bien au contraire. Pour s’en convaincre il suffit de voir ce qui s’est passé suite au classement en 1 992 des temples d’Angkor au Cambodge : expropriation des habitants relogés sur des terrains éloignés de la ville, construction d’hôtels et d’infrastructures de luxe, de parcs d’attractions, autant de destructions d’un espace naturel jusqu’alors préservé.
En 1 912, A. de Paniagua (Les Monuments mégalithiques. Destination, signification, 1 912.) considérait que l’ensemble des alignements de menhirs de Kerzerho, du Ménec, de Kermario, de Kerlescan, formait entre les rivières d’Etel et de Crac’h sur une longueur de 20 kilomètres une "barrière sacrée" continue constituée de plusieurs files parallèles de menhirs. Il témoigne qu’à son époque, des parties de ces alignements avaient disparu, certaines pierres étant utilisées depuis longtemps en réemploi pour la fabrication des maisons ou de l’église de Carnac. Cette imposante barrière minérale matérialisait, selon lui, la séparation entre une zone sacrée, la péninsule à l’ouest, entre terre et mer, d’avec le reste du territoire profane. Les caractéristiques topographiques du site, et la position extrême-occidentale en faisaient selon A. de Paniagua un plutonium, une aire consacrée aux rituels du passage dans le monde des morts. Ce territoire cultuel certainement l’un des plus vastes et réputé d’Europe occidentale était aussi un lieu de pèlerinage où affluaient les foules de croyants du néolithique venues assister aux célébrations ainsi qu’aux fêtes solsticiales et équinoxiales. La tradition d’un pèlerinage immémoriel en ce lieu s’était d’ailleurs transférée aux temps historiques dans le pèlerinage au patron local de l’Eglise : saint Cornély, lointain avatar de Cernunnos.
La tradition du territoire sacré, le nemeton (nemet, "sacré" en vieux celtique) est attestée chez les Celtes, ne serait-ce que par la construction d’immenses enceintes fortifiées, les oppida, à usage principalement sacerdotal et secondairement de refuge ultime. Plus tard les colons venus de la Grande Bretagne fonderont des monastères entourés d’un cercle sacré, les minihi qui deviendront l’embryon de nouvelles villes bretonnes : Saint-Brieuc, Saint-Pol-de-Léon, Tréguier, etc…
Aux temps des sociétés traditionnelles la fondation de sites sacrés engendrait l’émergence de riches centres humains ; aux temps modernes, au contraire, les projets d’aménagement, nés d’une pensée matérialiste détruisent les sites sacrés. Il existe donc un mouvement, qui semble irréversible en Occident de transition du sacré vers le profane. La jauge du sacré tend par ailleurs vers des pourcentages infimes de la population, surtout dans les jeunes générations. De plus l’homme européen auto-détruit sa propre culture par l’acceptation de théories émergeantes aberrantes telles que le wokisme, et lorsqu’il essaie de créer de nouvelles religions profanes (les théologies athéistes selon les termes de Mircea Eliade) il mixte fautivement les plans sacré (nemetos) et profane (anduos).
Dans le champ du néo-druidisme nous pouvons citer l’apparition du mouvement des Déo-Celtes, médecins à la fois druides et chamanes. Le fait d’accoler le terme Déo (deuios, "divin") à celui d’une ethnie d’humains, les Celtes, prouve l’ignorance d’une hiérarchie des plans. Le sacré ne s’accorde pas de l’innovation et de la fantaisie humaine. Plus récemment encore est née une revue nommée DruidéesƧe. Tout druidisant connait bien les déesses et les druidesses, mais ce nouveau concept démontre une volonté utopique de transformer l’être humain, ici toute femme (féminisme oblige) en déesse, chose impensable pour nos ancêtres. Les récits mythologiques irlandais narrent l’histoire des Tuatha Dé Danann, les dieux venus des îles au Nord du monde, c’est-à-dire peut-être symboliquement du ciel. Mais à partir du XIème siècle les clercs qui retranscrivirent ces récits transformèrent ces "tribus de la déesse Dana" en humains. Ils octroyèrent aux plus célèbres d’entre eux la déchéance de devenir mortels et pour les autres de disparaître définitivement dans les profondeurs de la terre. Le dogme chrétien ne pouvait en effet pas accepter une présence terrestre de dieux autre que celle de l’unique sauveur. Ce rétablissement de l’ordre cosmique peut tout à fait se comprendre de par leur doctrine.
La perte du sens du sacré entraîne la perdition des sociétés humaines. En particulier, la violence exercée, de manière consciente ou non, sur le patrimoine sacré génère toujours, en écho, une violence dans le monde profane. A l’heure où les émeutes s’intensifient sur notre territoire, ne peut-on pas y voir une conséquence de la perte du sens du sacré ? Lorsque l’homme n’est plus relié au divin dans la société dans laquelle il vit, il ne peut plus que se réfugier dans la violence, dans la destruction et le pillage du monde matériel qui lui semble l’oppresser.
Le rôle du druide antique était de rééquilibrer la balance entre le profane (les idées, la philosophie) et le sacré (le religieux, le rituel), en favorisant les liens subtils qui les relient afin de maintenir la paix. Mais pour cela, durant les temps actuels, le néo-druide doit retrouver le sens du sacré puis le maintenir tout au long de son existence afin de le partager.
Sedos in nemeso, Nemes tares talamonem, Talamu uo nemes, Nertos papu duniu
Paix dans le ciel, Ciel au-dessus de la terre, Terre sous le ciel, Force à chacun.